– Dis-moi Sigmund, c’est encore loin ?
– Non Jeff, regarde, on le voit.
– C’est vrai mais tout de même…
– Tout de même quoi ?
– Ca fait bien deux heures que nous marchons, non ?
– Oui, et c’est plutôt bon signe.
– Tu trouves toi ?
– Ben oui, ça veut dire qu’on s’en approche, logique non ?
– Dit comme cela, je te suis.
– Et toi Karl, tu suis toujours n’est-ce pas ?
– Oui, c’est capital pour moi d’y aller.
– Quand je vous ai vu tous les deux hier soir, ébahis devant le coucher du soleil, je me suis dit, «il faut que je les y emmène ».
– Sûr que c’était notre rêve.
– Je suis d’accord avec Karl mais tout de même, ça devient long.
– Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. La Fontaine.
– Ca tombe bien j’ai soif.
– Non, je parle de Jean.
– On s’en fiche des gens, elle est où ?
– Jean de la Fontaine !
– Ah oui, le type à fables …
– C’est possible, je ne l’ai pas connu.
… Plus tard …
– Dis-moi Sigmund, t’es sûr qu’il ne recule pas pendant que nous marchons au moins …
– Impossible Karl. C’est une ligne.
– Et alors ?
– Tu as déjà tracé une ligne par terre ?
– Ben oui, pourquoi ?
– Elle se déplaçait ?
– Ben non.
– Alors, celle-ci non plus, logique, non ?
– Pourtant, on parle souvent de bouger les lignes.
– Oui, quand on les pousse elles bougent. Mais seules, comment veux-tu qu’elles se déplacent ?
– Dit comme cela, je te suis.
– Je pense à autre chose Sigmund.
– Oui Jeff …
– Si c’est vraiment une ligne, elle devrait être inscrite sur la carte et moi je ne l’ai jamais vue.
– Soit tu n’avais pas la bonne carte, soit tu as mal regardé. Karl, comme moi tu l’as déjà vue la ligne tracée sur une carte n’est-ce pas ?
– Sur la carte des Vosges ?
– Pourquoi des Vosges ?
– La ligne bleue, c’est là-bas, non ?
– Non les Vosges, c’est à l’est et nous on est à l’ouest !
– Ca, je le sais, on me le dit souvent.
– Y a autre chose à propos de la ligne, Sigmund.
– Vas-y Jeff !
– Si elle ne recule pas, je me dis que ceux qui habitent derrière chez nous ont plus de chance que nous.
– Derrière chez nous y a personne, tu sais bien que nous vivons en rase campagne.
– Je veux dire loin, beaucoup plus loin derrière.
– Admettons et pourquoi cela plus de chance?
– Parce que leur ligne à eux est moins loin que la nôtre.
– T’as raison Jeff, mais à condition qu’ils partent de chez nous pour s’y rendre.
– N’empêche qu’on y est peut-être, sur leur ligne à eux.
– Avec des si….
– On pourrait s’imaginer qu’on habite chez eux, je veux dire avec leur adresse tout en vivant chez nous, et le tour serait joué.
– Tu sauras que l’on ne fait jamais le tour de la ligne.
– On la franchit, c’est cela ?
– Non Jeff, surtout pas ! On la longe.
– Elle n’en finit plus alors.
– C’est ce qui en fait l’attrait.
– Tu veux dire le trait ?
– Le trait pour tour oui.
… Plus tard …
– T’es sûr qu’on prend à droite, Sigmund ?
– Certain. C’est un raccourci.
– Je croyais que le plus court chemin entre deux points était la ligne droite …
– Tu oublies que nous n’allons pas vers un point mais vers une ligne.
– Mais une ligne ça passe par des points non ?
– Point d’exclamation excessive, Jeff.
– N’empêche qu’à droite on ne prend pas la ligne droite, un point c’est tout.
– Non, ce n’est pas tout. Tu oublies une chose Jeff, la terre est ronde, et les lignes épousent les rondeurs de la terre. Logique non ?
– Dis comme cela, je te suis, mais alors pourquoi plus à droite qu’à gauche ?
– A cause de la rotation de la terre qui nous entraîne naturellement vers la droite.
– Si c’est ta ligne de conduite, je te suis.
… Plus tard …
– Il doit y avoir un beau point de vue sur la ligne…
– Non, Jeff. Là-bas, il n’y a plus rien à voir.
– C’est comme un mur, c’est cela ?
– Oui, le mur du son, c’est là-bas, sur la ligne.
– Il faudra tendre l’oreille alors.
– Pas la peine, la ligne est sur écoute.
… Plus tard …
– On prend encore à droite, Sigmund ?
– C’est un autre raccourci.
– On a bien fait d’y aller avec toi.
– C’est vrai que la route de la ligne je l’ai bien en main.
– La ligne de ta main nous mène à notre destin.
– Ca c’est joliment dit Karl !
– Comme il se doit.
– Dis-moi Sigmund, à propos de destin, on y restera longtemps sur la ligne ?
– Jusqu’à ce que l’ennui se fasse jour.
– Ca se compte en jours ton histoire d’ennui ?
– Non, en nuits des temps.
– Tu veux dire toujours ?
– Tout jour qui passe avant la toute dernière nuit.
– La dernière ? Comment le saura-t-on ?
– Quand la ligne sera trop lourde pour que le jour se lève.
… Plus tard …
– Sigmund, on a un problème.
– Quel problème, Jeff ?
– Y a des trucs sur la ligne.
– De la friture ?
– Non, on dirait un bâtiment.
– J’entends bien.
– Mais il n’y était pas hier soir.
– Si mais tu ne le voyais pas, à cause du soleil.
– Et tu le savais toi …
– Parce que j’y suis déjà allé sur la ligne.
– Mais c’est le même bâtiment que chez nous !
– C’est ce qu’on appelle une ligne architecturale.
– Sigmund, le type devant le bâtiment, on dirait le directeur.
– C’est lui.
– Le directeur ici ? C’est un peu gros non ?
– Non, Jeff, il garde la ligne.
– La ligne d’arrivée ? Nous y sommes alors …
– Au bon point, à la ligne oui !
– Et tous ces gens en blouse blanche ?
– C’est la ligne vestimentaire du Comité d’accueil.
– Nous avons réussi. C’est émouvant.
… Plus tard …
– Sigmund, venez par ici, j’ai deux mots à vous dire.
– Oui, Monsieur le Directeur.
– Qu’est-ce qui vous a pris d’entraîner vos deux camarades dans cette échappée ?
– Ils en rêvaient Monsieur le Directeur. Vous devriez me remercier, maintenant ils savent.
– Et que savent-ils ?
– Que leur horizon est ici.
Stan Dell
Avril 2014
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